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Côte d’Ivoire, quand l’or ne brille pas pour tout le monde

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En Côte d’Ivoire, 3 000 litres de boues contaminées aux métaux lourds et au cyanure se sont accidentellement déversées le 23 juin dans le fleuve Cavally, dans l’ouest du pays. En cause : la rupture d’une vanne du canal d’évacuation de la mine d’Ity, plus vieille mine d’or du pays. Près de 200 personnes ont été intoxiquées. Un accident industriel qui interroge sur un secteur minier en pleine expansion, dans un pays qui tente de combattre la menace environnementale et sanitaire posée par l’orpaillage clandestin.

Quand ils ont été collectivement pris de vomissements, de maux de tête et de violentes courbatures, les habitants d’Ouyatouo ont immédiatement pensé à la mine d’or qui jouxte le village. Des centaines de poissons morts ont ensuite été retrouvés aux abords du fleuve.

Au total, 185 personnes ont été « légèrement intoxiquées » d’après un communiqué du gouvernement publié une semaine après l’accident, qui précise aussi que la « source de la pollution a été maîtrisée par la société minière ». Plus de deux semaines après les faits, Célestin Balla, le chef du village, affirme cependant que les symptômes persistent chez de nombreux résidents.

Les responsables de la mine, qui ont d’abord nié la pollution du fleuve, ont bien été obligés de l’admettre après la confirmation venue du Centre ivoirien antipollution (Ciapol). Dépêchés sur place trois jours après l’incident, les techniciens de l’entreprise ont réalisé des premiers prélèvements dans l’eau, qui doivent se poursuivre cette semaine.

« Le cyanure est extrêmement toxique mais se dégrade relativement rapidement. Nous nous attendons à ce que tout revienne à la normale dans le courant de la semaine prochaine en ce qui concerne la pollution du fleuve », a affirmé Bernard Yapo, le directeur du Ciapol, joint par téléphone jeudi 5 juillet.

Un incident circonscrit ?

Endeavour Mining, la société qui gère la mine, a rapidement remplacé la vanne endommagée ayant causé l’incident. Elle affirme depuis que celui-ci est « circonscrit ».

L’entreprise canadienne n’a eu de cesse de minimiser la situation auprès de la presse, expliquant d’abord que les symptômes constatés chez les résidents pouvaient être aussi bien causés par le paludisme, et que la mort massive de poissons était une rumeur.

Des affirmations qui font enrager Célestin Balla. Le chef du village affirme qu’il aura fallu plus de deux semaines à la société minière pour accepter de rembourser les frais médicaux des habitants, et qu’aucun examen médical n’a été réalisé sur la population pour anticiper d’éventuelles conséquences à long terme sur la santé. « Nous avons un vrai doute sur notre santé », souffle-t-il.

L’eau a été coupée dans le village et la consommation de poisson interdite. « Mais celle-ci est vitale pour l’alimentation du village », affirme Célestin Balla, qui explique qu’un enfant ayant mangé du poisson après la pollution a, depuis, la bouche couverte de plaies.

Les relations entre les habitants et la mine sont depuis des années faites de hauts et de bas. De nombreux bâtiments du village sont fissurés à cause de la dynamite utilisée par la mine, et la poussière y est omniprésente.

La société a cependant aussi largement investi dans la localité, et beaucoup de villageois ont pu y trouver du travail. Les conséquences négatives étaient jusque-là minimisées. « Aujourd’hui, c’est la première fois qu’on se rend compte qu’ils peuvent polluer l’eau et la nature, et mettre notre santé en danger », conclut Célestin Balla.

Un dispositif légal et fiscal favorable aux mines industrielles

Un accident de cette ampleur pourrait-il faire revoir la politique active de l’État ivoirien en matière de développement du secteur minier ? Cela semble peu probable, ce secteur ayant permis de doper les recettes fiscales de l’État ces dix dernières années (quasiment 600 millions d’euros en 2023, soit près de 20 fois plus qu’en 2012).

Avec le code minier de 2014, la Côte d’Ivoire incite les grandes sociétés minières étrangères, exonérées de TVA, à investir dans le pays. Les fonds engagés ont ainsi été multipliés par six en dix ans. Le nombre de permis de recherche est lui passé de 120 à 189, tandis que les permis d’exploitation et les projets d’exploitation en cours sont passés de neuf à 28 entre 2012 et 2023.

« Le cadre législatif et fiscal est très favorable. La Côte d’Ivoire est un pays idéal pour faire du business », abonde un cadre de Montage Gold, la société qui est en train de construire la plus grosse mine du pays, baptisée « Projet Koné ».

« Ici, les projets se montent rapidement, en un ou deux ans, alors qu’il faut souvent jusqu’à cinq années pour faire aboutir des projets de ce type ailleurs dans le monde », souligne-t-il.

L’industrie préférée à l’orpaillage pour exploiter un sous-sol riche en or

L’État souhaite valoriser le sous-sol national riche en or parce qu’il sait qu’il peut se transformer en malédiction. Celle-ci porte un nom : l’orpaillage clandestin, pratiqué massivement dans le pays.

Non seulement les bénéfices tirés de cette exploitation illégale échappent à l’impôt, mais elle est aussi très dangereuse, tant pour la santé des populations que pour l’environnement. « Le gouvernement veut encourager les mines industrielles à se développer parce qu’elles mettent en place de réels standards sociaux et environnementaux, auxquels nous nous conformons », affirme le cadre de Montage Gold.

Autrement dit : avec un sol aussi riche, mieux vaut laisser faire les professionnels, qui exercent dans le cadre de la loi.

Selon Hyacinthe Konan, un chercheur de l’université de Korhogo rompu aux études de terrain, les conséquences environnementales, sanitaires et sociales de l’orpaillage clandestin sont bien connues. Les accidents sont monnaie courante, notamment les éboulements, qui endeuillent régulièrement les villages, tout comme l’utilisation massive du cyanure sans quasiment aucune précaution pour qu’il ne se retrouve pas dans l’environnement.

« Autour des sites que j’ai pu visiter, tout est calciné, on voit les sols pollués à vue d’œil », assure Hyacinthe Konan. Les champs ne sont plus cultivables, mais les propriétaires terriens y accordent peu d’importance tant qu’ils obtiennent leur part du gâteau de l’or extrait dans leur localité. « L’attrait pour l’or est plus fort que tout. »

Les conséquences sur la santé des populations sont visibles. Dans la région d’Hiré, où il a mené plusieurs études, le chercheur explique avoir vu des cas récurrents de bronchite et des infections cutanées à profusion, même chez ceux qui ne travaillaient pas à la mine.

Mais c’est l’impact social dont le géographe parle avec le plus de passion : « Les orpailleurs clandestins arrivent dans des villages relativement pauvres avec énormément d’argent. C’est très courant que les femmes quittent leurs maris pour partir avec les orpailleurs, qui leur offrent de meilleures conditions de vie. Ça crée énormément de tensions avec les populations locales. »

Formaliser le secteur

Des problèmes que cherchent à juguler les autorités. Parfois par la répression, en menant des opérations pour expulser les orpailleurs et détruire leurs mines. Mais surtout en tentant de formaliser le secteur, que ce soit en encourageant les mines industrielles à employer localement, ou en développant le secteur de la mine artisanale, aussi appelée « semi-industrielle ».

Des « chantiers-écoles » ont été mis en place partout dans le pays pour former prioritairement les populations vivant là où l’orpaillage clandestin se pratique le plus. Leur objectif est d’enseigner aux orpailleurs les bonnes pratiques, de manière à leur permettre de formaliser leurs activités et demander par la suite des permis d’exploitation de mines semi-industrielles.

L’État a ainsi assoupli considérablement les règles permettant d’obtenir ces permis, faisant entrer bon nombre d’orpailleurs dans la légalité. Mais, d’après Hyacinthe Konan, on constate souvent des pratiques sensiblement similaires à celles qui s’observent dans les mines clandestines.

D’autant qu’une part importante de ces permis sont revendus à des opérateurs peu scrupuleux, qui ne font aucun cas des exigences sociales ou environnementales. « L’État a donné énormément de permis, mais derrière il n’y a quasiment pas de contrôle, donc c’est la course au profit qui prime », conclut le chercheur.

Côte d’Ivoire : quand l’or ne brille pas pour tout le monde (msn.com)

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