Après une vie passée à attendre, le prince Charles, 73 ans, souvent mal aimé et mal compris, a été officiellement proclamé roi samedi lors d’une réunion du Conseil d’accession à Londres, à un âge généralement plus propice à la retraite qu’aux grandes réformes.

Etrange destin que celui de ce prince à la personnalité singulière, beaucoup moins populaire que sa mère, dont il attendait la mort pour entrer dans la lumière. Né le 14 novembre 1948, il était devenu, en tant que fils aîné, l’héritier de la couronne à 3 ans et 3 mois, en février 1952, lorsque la princesse Elizabeth, 25 ans, était devenue reine à la mort de son père George VI. Depuis ses premiers engagements officiels dans les années 70, le rôle du Prince de Galles a été de «soutenir sa majesté la Reine, en tant que point focal de la fierté nationale». Il a donc accueilli en son nom les dignitaires au Royaume Uni, participé aux dîners d’Etat, voyagé dans une centaine de pays, remis des milliers de décorations, couru les inaugurations, honoré des héros, écrit ou enregistré d’innombrables messages d’encouragement ou de félicitations.Il remplaçait de plus en plus sa mère à la santé déclinante. En mai, Charles avait prononcé à sa place pour la première fois le discours du trône au Parlement, l’une de ses fonctions constitutionnelles les plus importantes.

Son accession au trône après 70 ans de patience, un record dans l’histoire de la monarchie britannique, a été immédiate à la mort de la reine, en vertu d’une ancienne maxime latine «Rex nunquam moritur» (le roi ne meurt jamais). De l’aquarelle à la Transylvanie, Charles a eu des passions variées pour occuper sept décennies à attendre de monter sur le trône. Si sa défense de l’écologie, après avoir suscité des moqueries, est désormais vue comme avant-gardiste, sa tendance à mettre en avant ses opinions personnelles a parfois fait sourciller.

Charles enfin roi, sous le nom Charles III

«Aujourd’hui, la Couronne passe, comme elle l’a fait pendant plus de mille ans, à notre nouveau monarque, notre nouveau chef d’État, Sa Majesté le roi Charles III», a déclaré Liz Truss, la toute nouvelle Première ministre, que la reine avait reçue mardi au château de Balmoral pour lui demander de former un nouveau gouvernement. Le couronnement de Charles, cérémonie hors du temps, unique en Europe, devrait intervenir au mieux dans quelques semaines, une fois dépassé le traumatisme du décès de la reine Elizabeth II, souveraine adulée décédée à 96 ans. Elle-même avait été couronnée en juin 1953, 16 mois après avoir été proclamée reine. C’était «le dernier hourra impérial», avec «8.250 personnes entassées dans l’Abbaye de Westminster«, selon Bob Morris, auteur de plusieurs ouvrages sur l’avenir de la monarchie. Selon lui, Charles devrait préférer «un couronnement plus rapide et plus petit», mais tout pourrait dépendre de la date, pour éviter un couronnement au cœur de l’hiver.

Royaume-Uni: Charles III officiellement proclamé roi

Charles III a été officiellement proclamé roi samedi lors d’une réunion du Conseil d’accession à Londres, se disant «profondément conscient» des «devoirs et lourdes responsabilités» des fonctions dont il hérité après la mort sa mère Elizabeth II. La cérémonie, diffusée pour la première fois à la télévision, a eu lieu au palais Saint-James en présence de la nouvelle reine consort Camilla, du nouvel héritier du trône William, de la Première ministre Liz Truss et de plusieurs de ses prédécesseurs. Une fois la déclaration le proclamant lue, le Conseil a prononcé en chœur «God Save the King», puis s’est déplacé dans la salle du trône du palais pour que le roi prête serment.»Le règne de ma mère a été inégalé dans sa durée, son dévouement et sa dévotion», a déclaré le roi dans son discours précédant ce serment solennel, évoquant une «perte irréparable».»Je suis profondément conscient de ce grand héritage, des devoirs et des lourdes responsabilités de la souveraineté, qui me sont désormais transmis», a-t-il ajouté. Il a salué «le soutien constant» de sa femme, la reine consort Camilla, et a confirmé vouloir poursuivre la tradition de reverser aux finances publiques les revenus tirés du patrimoine de la Couronne (terres, investissements etc.) en échange d’une allocation annuelle («sovereign grant») fixée à 15% de ces revenus. Cette somme représentait 86,3 millions de livres pour 2021-2022, soit 98 millions d’euros. A l’extérieur du palais Saint-James, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées.

Un amateur d’architecture et de peinture

Dans les années 1980, Charles a lancé une croisade contre une architecture moderne qu’il jugeait «laide», comparant même à une «monstrueuse verrue» un projet d’extension de la National Gallery sur Trafalgar Square à Londres, finalement abandonné. Il a mis ses idées en pratique en soutenant la construction d’un village modèle appelé Poundbury sur ses terres du Dorset, dans le sud-ouest de l’Angleterre, au début des années 1990.Le lotissement, construit dans un style géorgien néoclassique, a été jugé «sans âme» par certains critiques, mais a suscité l’intérêt des acheteurs. Charles a également aidé à revitaliser Nansledan, une extension de la ville de Newquay, dans une région pauvre, anciennement minière des Cornouailles, avec des logements colorés respectueux de l’environnement et des équipements locaux.

Par ailleurs, Charles aime peindre des aquarelles et vend des lithographies de ses oeuvres au profit d’associations, des ventes, ce qui rapporterait des millions de livres sterling. Dans une exposition de ses aquarelles à Londres début 2022, il expliquait avoir choisi ce mode d’expression car il trouvait la photographie peu «satisfaisante»: «Cela requiert la concentration la plus intense et c’est par conséquent l’un des exercices les plus relaxants et thérapeutiques», décrivait-il, se disant ainsi «transporté dans une autre dimension». Il disait aussi n’avoir «aucune illusion» sur la qualité de ses oeuvres.Charles est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le livre pour enfants «Le vieil homme de Lochnagar» sur un vieil homme qui vit dans une grotte près du domaine royal de Balmoral, dans le nord-est de l’Écosse.

Un monarque sensible à l’écologie et à l’agriculture bio

Sensible de longue date à la cause environnementale, Charles a créé un jardin et une ferme entièrement biologiques dans son domaine de Highgrove dans le Gloucestershire, dans l’ouest de l’Angleterre. Il a également lancé la gamme d’aliments et de boissons issu de l’agriculture biologique Duchy Originals, commercialisée par les supermarchés haut de gamme Waitrose. Depuis 2007, il publie son «empreinte écologique» (total 3.133 tonnes de CO2 en 2020 contre 5070 en 2019). Passionné de jardinage, Charles a révélé dans une interview en 1986 qu’il parlait aux plantes, s’attirant des moqueries. Mais ses opinions en matière de défense de l’environnement sont devenues plus partagées au fil des ans. Lors du sommet du climat COP26 à Glasgow en novembre 2021, il a exhorté les responsables politiques à redoubler d’efforts dans la lutte contre le réchauffement. Sa voiture, une Aston Martin qu’il possède depuis plus de 50 ans, a été modifiée pour pouvoir rouler avec du surplus de vin blanc anglais et du lactosérum provenant du processus de fabrication du fromage. Elle fonctionne avec un mélange de 85% de bioéthanol et 15% d’essence sans plomb.

Chasse et polo au programme

Son engagement en faveur de l’environnement n’a pas empêché Charles de pratiquer la chasse, un passe-temps traditionnel dans la famille royale. Il a également joué au polo jusqu’en 2015, date à laquelle il y a renoncé à cause d’une série de blessures. Il aurait rencontré sa seconde épouse Camilla lors d’un match de polo dans les années 1970.

Une véritable fascination pour la Transylvanie

Charles a acheté plusieurs maisons en Transylvanie, une région du centre-ouest de la Roumanie surtout connue comme terre d’origine de Dracula. Il les a restaurées en utilisant des méthodes et des meubles traditionnels. L’une a été transformée en maison d’hôtes.En 2015, il a lancé sa propre fondation caritative en Roumanie, qui vise à protéger le patrimoine culturel et naturel du pays et de promouvoir le développement durable. Charles se targue d’être un parent éloigné d’un prince du XVe siècle connu sous le nom de Vlad l’Empaleur ou Dracula et aurait, selon ses propres dires, «la Transylvanie dans (son) sang».

Camilla reine consort

Sa deuxième épouse Camilla deviendra reine consort, un souhait exprimé par la reine en février dernier. Le sujet restait sensible chez les Britanniques. Après son remariage avec le prince Charles en 2005, Camilla avait choisi de ne pas prendre le titre de princesse de Galles, trop associé à la princesse Diana que Charles avait trompée avec elle pendant de longues années.

Un monarque qui bénéficie (seulement) de 56% d’opinions favorables

Les Britanniques connaissent surtout de lui le naufrage de son mariage avec la princesse Diana, qui lui a fait un tort considérable dans les années 1990, et son remariage avec Camilla. Ce vieil aristocrate dandy qui aime les costumes croisés est nettement moins populaire que sa mère, entièrement dévouée à son rôle pendant 70 ans, et d’une neutralité absolue. Est-ce son âge, sa gaucherie, ou ses passions trop bavardes jugée parfois à la limite de l’ingérence politique ? Il n’était qu’à 56% d’opinions favorables dans un récent sondage YouGov en mai, loin derrière la reine (81%), son fils le prince William (77%) sa belle-fille Kate Middleton ou sa sœur la princesse Anne. Camilla plafonnait à 48% d’opinions positives. Depuis le décès de son père le prince Philip au printemps 2021, et alors que la reine se faisait moins présente, Charles a resserré le cercle royal, autour de lui, Camilla, son fils aîné William, son plus jeune frère Edward.I l prend les rênes d’une institution au rôle amoindri dans le monde, à une époque et un âge qui sont un double défi. Nul ne sait encore comment Charles Philip Arthur George saura l’incarner, mais une chose est déjà sûre: ses années de règne lui sont comptées. (geo.fr)