– SA DISPARITION TOTALE EST UNE AFFAIRE DE MOIS…
Récemment, le principal syndicat de la Sodefor et des Ong ont tenu une conférence de presse pour dénoncer les conflits existant entre les agents de la Sodefor et les riverains des forêts classées. Ils ont mis en lumière les conflits de compétence entre les prérogatives de la Sodefor, qui gère les forêts classées, et celles du Ministère des Eaux et Forêts chargé de la mise en œuvre de la politique forestière du gouvernement ivoirien. Les conférenciers ont également relaté leur mission conjointe, qui s’est déroulée du 13 au 16 mai 2024 à Guiglo et à Man, avant de faire des suggestions et recommandations.
UNE PRISE EN OTAGE PAR UNE ENTREPRISE MINIERE
Au cours de ladite conférence, la question de l’occupation, voire de la prise en otage, d’une partie de la forêt classée de Badenou par une entreprise minière basée à Tongon n’a pas trouvé de réponse satisfaisante. Mais le principal conférencier a promis d’y effectuer une visite pour constater de visu cet état de fait.
UNE FORET EN PERIL
Je suis au regret d’affirmer que la forêt classée de Badenou est actuellement agressée. Je l’affirme parce que je m’y suis rendu du 8 au 9 mai dernier, jour de la fête de l’Ascension et j’ai vu et entendu les vrombissements des moteurs de gros engins d’extraction de minerais. C’était un jour férié certes, mais les machines étaient en marche. Allez-y comprendre…
UNE ENQUETE SUR LE TERRAIN
J’ai quitté Abidjan dans l’après-midi du mercredi 8 mai à bord d’un car de transport pour arriver à Korhogo très tard dans la nuit. Au petit matin, j’ai loué un mototaxi pour me rendre à Nafoun, un village situé à environ 65 km, où se déroule cette activité illégale. La prudence était de mise. Il ne fallait pas se dévoiler comme journaliste d’investigation. Là-bas, quand les mots « mine » ou « or » sont évoqués par des personnes comme nous qui ne sommes pas du coin, les riverains ont tendance à se recroqueviller. Même au motard, je n’ai pas osé dévoiler ma vraie destination.
SUR LES TRACES DE LA MINE
Une fois à Nafoun, je lui dis que je suis là pour tenter d’avoir du travail à la mine. « Quelle mine ? », demanda-t-il, un peu surpris. Il m’expliqua que la mine de Tongon est encore loin et qu’on n’avait pas convenu de cette destination, sinon il aurait majoré le prix de la location. Je l’ai tout de suite rassuré que nous n’irions pas plus loin. « Il y a une mine dans cette forêt et c’est là-bas que je voudrais demander du travail », ai-je dit.
DECOUVERTE DE L’ORPAILLAGE CLANDESTIN
La forêt classée de Badenou regorge de champs d’arachide, d’enclos d’élevage… mais aussi de petites unités traditionnelles d’extraction d’or. D’ailleurs, dans notre égarement, nous sommes tombés sur un point d’orpaillage clandestin. Il était midi et les travailleurs étaient au repos et s’affairaient à cuisiner leur repas. Des commerçantes étaient assises devant leurs étals de cigarettes, de liqueurs frelatées, etc. « On cherche la mine d’or », a demandé mon compagnon du jour en langue locale. « Quelle mine ? », ont-elles questionné presque en chœur. Il fallait les rassurer et les convaincre de nous montrer la bonne piste. Pendant que je faisais des achats, mon transporteur finit par y parvenir. La confiance installée, l’une d’elles me conseilla même de ne pas boire la petite bouteille de liqueur que je venais d’acheter, si je voulais être recruté à la mine.
ARRIVEE A LA MINE
Peu après, nous voici à l’entrée de la fameuse mine qui ne porte pas encore d’enseigne à l’entrée, mais un projet de clôture de la superficie est en marche. Nous traversons le site à moto sous les yeux inquiets de quelques travailleurs. Malheureusement, la discrétion était encore de mise. Maintenant que je lui avais informé de la raison réelle de ma présence en ces lieux, mon transporteur avait vite fait de me mettre en garde quant aux conséquences si l’on me surprenait en train de faire des photos ou de poser des questions. Néanmoins, je ne me suis pas contenté uniquement de regarder : le chantier est impressionnant, le déboisement est effectif sur une très grande superficie, plusieurs fosses sont visibles etc. Sans oublier les pelleteuses, chargeuses, dameuses, camions, citernes et autres. Juste une ronde et nous quittons les lieux pour ne pas attirer l’attention.
UNE EXPLOITATION ILLEGALE
Après mes recherches, bien que la Société des Mines de Tongon SA soit officiellement autorisée à exercer sur un espace bien défini de la forêt classée de Badenou, le site que j’ai visité n’en fait pas partie. Et selon les informations en ma possession, des responsables de la Sodefor ont informé les patrons de l’entreprise minière au cours des rencontres qu’ils ont eues, quelques mois en arrière. Selon les mêmes sources, aucune redéfinition de limites n’a été obtenue, mais la société a décidé d’exploiter des sites satellites sans prendre de mesures de protection de l’environnement et de compensation.
UNE INDIFFERENCE SUSPECTE
Cette attitude de la Société des Mines de Tongon SA soulève de nombreuses interrogations. Si moi, j’ai pu avoir l’information et me rendre sur les lieux pour constater, c’est que les autorités forestières et le ministère en savent forcément quelque chose ? Alors pourquoi personne ne s’en préoccupe ? A profite cette violation flagrante du code forestier ? Pourquoi personne ne réagit ? Qui met en mal la vision du Président de la République pour 2030 ?
UN OBJECTIF NATIONAL EN PERIL
Je rappelle que la vision de SEM. Alassane Ouattara vise une couverture forestière de 20 % d’ici 2030. C’est d’ailleurs pour atteindre cet objectif que l’État et les structures spécialisées sollicitent des aides extérieures pour réhabiliter les forêts ivoiriennes. Si, pendant ce temps, des sociétés détruisent le peu qui reste sans que personne ne s’en émeuve, cette vision risque de demeurer une utopie. C’est malheureux, inquiétant et simplement alarmant !
Nous y reviendrons…
Un récit de Kwam