La tension est montée d’un cran ces derniers mois entre Paris et Ouagadougou, où le nouveau pouvoir, issu d’un nouveau coup d’État en septembre, entend affirmer avec force sa souveraineté et « diversifier ses partenaires » dans la lutte antidjihadiste, longtemps menée avec l’aide de la France dont 400 forces spéciales sont stationnées dans le pays. L’hypothèse d’un rapprochement entre Burkina et Russie émerge alors que les crispations se sont récemment multipliées entre Paris et Ouagadougou : en novembre, une manifestation a visé l’ambassade de France à Ouagadougou. Et en décembre, les autorités burkinabées ont exigé le départ de l’ambassadeur de France, Luc Hallade, en poste depuis fin 2019, après des propos jugés offensants. Les tensions sont telles que Paris a dépêché, la semaine dernière, à Ouagadougou la secrétaire d’État Chrysoula Zacharopoulou pour y rencontrer le président de transition.
Sa visite a valu son pesant d’interrogations. Pour les éditorialistes du quotidien, L’Observateur Paalga, l’envoyée française est venue en « mission de rabibochage à Ouagadougou », loin donc d’un hasard du calendrier. Car derrière la volonté exprimée de Ouagadougou d’un « changement d’interlocuteur », il y a ce froid entre les deux pays qui date de plusieurs semaines, voire des mois.
En juillet 2022, déjà, soit quelques mois avant le coup d’État de fin septembre qui a porté le capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir, la relation entre Ouagadougou et Paris subissait déjà un trouble. En cause, « une lecture erronée » de la situation sécuritaire au Burkina par l’ambassadeur français à Ouagadougou qui, lors d’une audition du groupe d’amitié France-Afrique de l’ouest du Sénat français, avait évoqué la notion de « guerre civile » au Pays des Hommes intègres. Luc Hallade ajoutait qu’« une partie de la population se rebelle contre l’État et cherche à le renverser ». Cela avait valu une « note de protestation » du gouvernement du Burkina et fait l’objet d’une rencontre entre un responsable d’alors de la diplomatie et le représentant français.
Ouagadougou aurait pointé une autre « erreur d’appréciation », quelques mois plus tard, celle de trop, pour la junte au pouvoir qui exige alors un changement d’interlocuteur, selon plusieurs sources. Ouagadougou a estimé inexacte la situation sécuritaire de certaines zones du pays telle que décrite par l’Ambassade, lequel dans une note du 12 décembre ? qui a fuité sur les réseaux sociaux ? aurait demandé « avec insistance » aux ressortissants de Koudougou, une ville située à 100 kilomètres à l’ouest de Ouagadougou, de se « relocaliser » dans la capitale ou à Bobo-Dioulasso, dans le sud-ouest du pays.
Une brouille aux multiples rebondissements
En dehors des griefs émis contre le plénipotentiaire, l’amitié franco-burkinabè a pris un sacré coup depuis l’attaque des emprises diplomatiques françaises au Burkina, en octobre dernier. L’ambassade et les Instituts français de Ouagadougou, la capitale, et de Bobo-Dioulasso, deuxième ville du pays, ont alors été mis en flammes par des manifestants. L’expression d’un sentiment dit « antipolitique française », quelques fois exprimé auparavant et dont un autre fait marquant a été le blocage, en novembre 2021, d’un convoi militaire français dans le centre-nord du Burkina par des mécontents.
Au lendemain des violences subies par les installations françaises, le Consulat général de l’Ambassade avait décidé de la suspension du traitement des demandes de visas sur passeports diplomatiques et de service, orientant les demandeurs burkinabés vers un prestataire privé. Raisons évoquées : la mise à sac des bureaux et les équipements du service consulaire « Il ne sera donc plus possible de déposer une demande de visa ou de retirer son passeport auprès du consulat général », avait prévenu fin octobre l’Ambassade.
Trois mois après cette mesure, une autre, cette fois-ci émane des autorités de la transition, a sonné comme la réponse du berger à la bergère. Dans un courrier transmis début janvier à son ministre des Affaires étrangères et largement partagé sur la Toile, le président de la Transition a demandé un changement des procédures de traitement des demandes de visas pour les détenteurs de passeports diplomatiques et de service français, au nom d’un « principe de réciprocité ».
À cela, il faut ajouter la suspension de la diffusion des programmes de Radio France internationale sur le territoire burkinabé. Cela, après que les autorités ont reproché au média d’avoir fait écho d’un message d’intimidation attribué à un chef terroriste. Le Quai d’Orsay avait « déploré » cette décision des autorités de la transition qui reste maintenue « jusqu’à nouvel ordre ».
Offre de service russe ?
Pour nombre de personnes, cette brouille entre Paris et Ouagadougou valait bien une mission à hauteur de celle effectuée par Chrysoula Zacharopoulou qui, à l’issue du tête-à-tête avec le chef de la transition burkinabé, a donné une conférence de presse avant de quitter Ouagadougou. La dissipation du brouillard passe-t-elle d’abord par le changement d’un interlocuteur de Ouagadougou comme souhaité par le Burkina ? Autour de cette question, la secrétaire d’État a presque entretenu le mystère face aux journalistes. « Nous avons entendu le message des autorités. Elles ont demandé de nouvelles voix, de nouveaux visages. J’ai fait part de ma disponibilité au président Traoré et à ses équipes de poursuivre le dialogue. Nous avons convenu de traiter ce sujet en bonne entente et dans les formes diplomatiques », s’est-elle contentée de dire.
La visite de madame Zacharopoulou intervient au moment où la rumeur est persistante sur une arrivée imminente de mercenaires de la société paramilitaire russe Wagner au Burkina pour aider à lutter contre le terrorisme. Quelques jours plus tôt, le magazine panafricain, Jeune Afrique, s’y attardait en évoquant des « tractations » entre les parties russes et burkinabées autour du montant à mettre sur la table en échange des services de la société : 10 000 dollars par mois et par mercenaire, selon le journal. Sur ce sujet qui, jusque-là, n’a pas fait l’objet de réaction officielle du côté burkinabé, Chrysoula Zacharopoulou s’est montrée la plus prudente, pesant visiblement chaque mot : « Je ne suis pas ici pour commenter des hypothèses ni pour parler à la place des autorités burkinabées. Je dis simplement que chaque choix a ses conséquences. Nous avons eu l’occasion de nous exprimer à ce sujet », a-t-elle déclaré.
L’avenir de la présence militaire française en question
Sur quelles conséquences Paris voudrait-elle attirer l’attention de Ouagadougou quant au déploiement supposé imminent d’une société paramilitaire ? L’émissaire française n’a pas été plus explicite sur le sujet. Mais pour beaucoup, cela pourrait s’entendre une rupture diplomatique, y compris militaire, comme observé au Mali voisin après le déploiement de ce que Paris a toujours considéré comme des mercenaires russes de Wagner et pour Bamako, des instructeurs militaires. Pourtant, la France, selon Chrysoula Zacharopoulou, compte bien maintenir au Burkina ses quelque 400 hommes de la force Sabre dont la présence à Ouagadougou est régulièrement décriée par des organisations de la société civile locales qui ont souvent pointé son « inefficacité » dans la lutte contre le terrorisme. « Nous resterons présents aussi longtemps que notre présence sera souhaitée. La force Sabre est là en accord avec les autorités du pays », a soutenu la secrétaire d’État française chargée du développement, de la Francophonie et des partenaires internationaux.
Aux yeux de certains observateurs, il y a de quoi entrevoir des incertitudes quant à l’avenir des relations diplomatiques entre Ouagadougou et Paris. Tant, « les relations entre la France et le Burkina ne se sont pas seulement dégradées au cours des derniers mois, elles se sont érodées, cassés et décomposées », estime Kalifara Séré, administrateur civil et enseignant-chercheur en Décentralisation et Stratégies. Et d’emprunter au jargon cinématographique pour dire que « Paris et Ouaga jouent un petit thriller politico-diplomatique dans lequel le suspense le dispute à la tension narrative ». Il ajoute : « Les outils et le tempo narratifs sont connus et ont déjà été usités récemment au Mali. Les intimidations, récriminations et les répliques sont, pour l’heure, dans le style agréé par la Convention de Vienne », régissant les relations diplomatiques. Justement, le Mali s’invite à l’analyse. Pour beaucoup, il existe, à y voir de près, des similitudes entre la trajectoire actuelle de la relation franco-burkinabée et celle franco-malienne qui a précédé le divorce entre Paris et Bamako. Kalifara Séré évoque une « tendance à la décalcomanie » de la part du Burkkina et une « décalcomanie-retour » de Paris qui, selon ce fin analyste des questions politiques et des relations internationales, « anticipe sur certaines des démarches du Burkina du simple fait de cette silhouette massive du Mali qui s’imprime en toile de fond ».
Sur les traces de Bamako ?
La question d’une arrivée probable de Wagner ferait-elle partie de cette anticipation avec l’envoi d’un émissaire à Ouagadougou ? Certains le pensent tout bas. Mais au-delà d’une présence du groupe russe, au-delà du tarif contractuel d’intervention avancé par des médias, Kalifara Séré estime que la réflexion doit être orientée sur l’efficacité opérationnelle de cette société russe. Une efficacité qui, pour lui, est fonction du poids géopolitique de la zone d’intervention. « À ce jour, aucune intervention de Wagner sur le sol africain, avec à la clé des contrats miniers ou pétroliers (Est-Libye avec Hafftar, RCA, Mali) n’a eu la même intensité et les mêmes résultats probants et fulgurants que sur le théâtre des opérations en Syrie », analyse l’enseignant-chercheur. C’est ce bémol qui doit susciter les questionnements plus approfondis et inviter à envisager la formule de partenariat la plus adéquate et la plus productive de valeurs ajoutées pour nos forces armées afin de circonscrire tout jeu de dupes et toute publicité mensongère. » Qu’à cela ne tienne, « rien ne saurait empêcher un État comme le Burkina de placer une grande partie de ses fantasmes sécuritaires sur Wagner ». Tant également la société « bénéficie d’un préjugé extraordinairement favorable, même si à l’évidence cette réputation semble largement surfaite », estime Kalifara Séré.
Que faire pour dissiper le brouillard sur l’axe Ouagadougou-Paris ? Pour Kalifara Séré, des relations normalisées entre les deux capitales impliquent « une relation horizontale normée au diapason de la Convention de Vienne ». Cela s’entend le respect par chacune des parties des règles prévues par la convention. (Le Point)