Il y a tout juste un an, Kaboul tombait aux mains des talibans. Ce qui précipitait le départ, dans la confusion, de l’armée américaine, présente dans le pays depuis 2001. Un an après la chute de Kaboul, quelle est aujourd’hui la politique des États-Unis en Afghanistan ?

Du point de vue sécuritaire, l’armée américaine n’est plus présente sur le terrain. Mais l’état-major américain surveille de près l’activité des groupes armés en Afghanistan. Les talibans font face à plusieurs groupes insurgés dans le pays : la branche afghane de l’organisation État islamique, mais aussi le Front national de résistance, un groupe armé qui inclut notamment d’anciens membres de l’armée nationale afghane, mené par Ahmad Massoud, le fils du commandant Massoud.

Plus généralement, les talibans ont longtemps toléré la présence de différents groupes jihadistes sur le sol afghan. Le chef d’al-Qaïda lui-même, Ayman al-Zawahiri se trouvait à Kaboul, où il a été tué par une frappe américaine. Il semble qu’il s’agit d’une intervention ponctuelle de la part des États-Unis. Cela ne permet pas de dire que les Américains vont reprendre des frappes en Afghanistan contre les jihadistes

Non-respect des accords de Doha

La mort d’Ayman al-Zawahiri est un coup d’éclat bienvenu pour le président américain Joe Biden, après la débâcle militaire de l’an dernier. Ayman al-Zawahiri se trouvait même dans un quartier prisé des diplomates et des hommes d’affaires.

Comment cela a-t-il été perçu par les Américains ? Gram Smith est consultant pour le groupe de réflexion International Crisis Group. C’est aussi l’ancien responsable des affaires politiques pour les Nations-Unies en Afghanistan. Il estime que « des membres de l’administration américaine se sentaient trahis, personnellement ». « Mais il est vrai aussi que les personnes qui suivent de près ces sujets savent depuis quelque temps que les talibans essayaient d’avoir le beurre et l’argent du beurre : c’est-à-dire qu’ils gardaient contact avec al-Qaïda et d’autres groupes jihadistes, tout en construisant de nouvelles relations avec le reste du monde », poursuit-il.

Les responsables américains se sentent trahis, parce qu’ils considèrent que les talibans n’ont pas respecté l’accord de Doha. L’accord de Doha, signé en 2020 entre les États-Unis de Donald Trump et les talibans, qui n’avaient donc pas encore pris le pouvoir en Afghanistan à ce moment-là, précisait qu’en échange du retrait des troupes américaines d’Afghanistan, les talibans s’engageaient à interdire l’accès de leur territoire aux groupes jihadistes.

Les talibans considèrent, eux aussi, que les États-Unis n’ont pas respecté l’accord de Doha, en intervenant militairement dans le pays par cette frappe de drone en plein Kaboul. Le texte est interprété différemment des deux côtés. Malgré tout, aussi bien les talibans que les Américains considèrent que cet accord est toujours d’actualité.

Négociations économiques

D’ailleurs les négociations continuent entre eux au sujet de la crise économique et humanitaire que vit le pays. L’ONU estimait en mars dernier que près de 95% des Afghans ne mangeaient pas à leur faim et la situation reste critique.

Dans ce contexte, plus de 70 économistes du monde entier, dont le prix Nobel Joseph Stiglitz ont appelé la semaine dernière le président américain Joe Biden à débloquer les fonds de la banque centrale afghane, qui sont gelés aujourd’hui, principalement par les États-Unis. C’est l’un des points les plus importants des négociations qui se tiennent en ce moment entre Washington et les talibans. 

Le gel des avoirs de la Banque centrale afghane continue 

Plus de 7 milliards de dollars : c’est le montant des avoirs étrangers de la Banque centrale afghane qui ont été gelés par les États-Unis à la chute du gouvernement afghan il y a pile un an. Kaboul devrait pouvoir disposer de près de 9 milliards d’avoirs en tout, dont une grande majorité bloquée par Washington, mais la banque mondiale et l’Union européenne contrôlent aussi des centaines de millions. Alors que le pays s’enfonce dans une crise économique sans issue visible, et que la famine menace l’Afghanistan les appels se multiplient pour la levée des sanctions et du gel des avoir, mais sans résultat pour l’instant.
En février dernier, Joe Biden avait fait un « premier pas » selon les mots de la Maison Blanche : le président annonçait le dégel d’une partie des fonds dont la moitié servirait à l’indemnisation des victimes du 11 septembre, et l’autre à une aide humanitaire directe en Afghanistan, c’est-à-dire sans que l’argent passe par les mains des talibans.
Mais le constat est quasi unanime, des envoyés spéciaux de l’ONU aux humanitaires, en passant par de nombreux responsables politiques dans le monde :  l’aide humanitaire ne suffira pas à relever le pays qui sombre dans la misère. Cette misère menace des millions de personnes de famine, pousse les Afghans à émigrer et met aussi en péril la stabilité régionale.
Les discussions entre Washington et Kaboul continuent de façon pragmatique, notamment au sujet de la reconstruction du pays. Mais sur la question des avoirs, elles vont très lentement selon l’International crisis group. L’affaire al-Zawahiri a refroidi les relations. La présence du chef terroriste en plein cœur de Kaboul a été perçue comme une violation des accords de Doha, voire comme une trahison par Washington. Même chose côté Afghan après son élimination par les forces américaines. Enfin, l’approche des élections de mi-mandat aux Etats-Unis ne favorise pas l’annonce de mesures qui pourraient être perçues comme clémentes vis-à-vis des talibans.

« Les négociations (sur le gel des avoirs) avancent très lentement. Chacun campe sur ses positions, poursuit Gram Smith, de l’International Crisis Group. Et c’est terrible, car la Banque mondiale et d’autres expliquent qu’il n’est pas possible de régler la crise humanitaire sans régler la crise économique d’abord. Or, l’une des manières de faire ça, c’est de débloquer les avoirs gelés de la banque centrale. Cela permettrait d’assurer une certaine stabilité macroéconomique, d’apporter des liquidités nécessaires pour financer les importations. Bref, de relancer l’économie. »

Il n’est pas sûr que Joe Biden soit prêt à débloquer les fonds de la Banque centrale afghane pour le moment. Du point de vue l’opinion américaine, il pourrait apparaître comme quelqu’un qui fait des concessions face au régime des talibans. Or nous sommes maintenant à moins de trois mois des élections de mi-mandat aux États-Unis